Presqu'une heure de lumière

Publié le par Tiger


La télévision est farcie d'émisions débilitantes, tout le monde le sait, car tout le monde les regarde. D'ailleurs, "tout le monde en parle", comme dirait l'autre, le lendemain au boulot, à la cafeteria, dans le métro, le bus, le train, au téléphone avec ses copines... Le plus souvent, la discussion est culpabilisante, et fait appel au "je zappais et je suis tombé dessus par hasard" qui ne trompe personne mais qui permet de sauver les apparences. Et quoi de plus important, en ces temps de l'image-reine, que les apparences ?
En tant que chat curieux de tout, il m'arrive également de zapper, sans que mon attention soit accrochée par le moindre programme. Hier soir cependant, mon instinct a retenu ma patte qui avait pris le rythme du zapping (un appui sur la touche "programme suivant" toutes les deux secondes). Mes coussinets suspendus à quelques centimètres de la fatale zapette, mon oeil et mon cerveau furent irrémédiablement attirés par les images et le son que diffusait France 5. L'émission s'appelle Empreintes. Voici comment la chaîne en présente le concept :

"Ils sont ceux qui laisseront leur empreinte sur notre époque. Personnalités françaises, elles appartiennent aux mondes des arts, de la culture, des sciences, du spectacle, du sport, du monde politique ou de la société civile... Connues du public pour leur action, leur engagement, leur production, elles sont, aujourd'hui, à un moment de leur vie où elles sont prêtes à transmettre au plus grand nombre le fruit de leur expérience et leur vision du monde. C'est cette parole généreuse, cette expérience partagée que la collection " Empreintes" va offrir au public à travers chaque documentaire de 52'.

Chaque documentaire sera centré sur une personnalité. Il évoquera son apport à notre époque à travers, bien sûr, la rencontre, mais aussi à travers des images d'archives qu'elles soient publiques ou personnelles. Chacune de ces personnalités nous racontera le ou les événements qui ont été constitutifs de sa trajectoire, ces événements qui l'ont déterminé à être ce qu'elle est, et qui l'ont amené à agir comme elle l'a fait et à produire ce qu'elle a produit. Une parole donnée qui s'adressera autant aux néophytes qu'aux initiés.

Ni portrait, ni biographie, chaque documentaire sera un tête à tête avec le téléspectateur, une rencontre intime. Au sortir de cette rencontre, le téléspectateur aura eu accès aux éléments biographiques, aux événements historiques qui ont amené la personnalité à devenir ce qu'elle est devenue, pour marquer de son " empreinte " notre époque. Ceci implique une adhésion forte de la personnalité au principe de la collection. Pourtant, le documentaire ne devra pas avoir de caractère introspectif mais, au contraire, être dans la générosité du partage du vécu et du regard personnel porté sur le monde d'aujourd'hui pour nous éclairer sur son avenir."

Le projet est prévu pour se dérouler sur quatre années, au rythme de trente films par an, soit cent vingt films. Un chantier énorme, digne de ce qu'un citoyen exigeant (ou un chat non moins exigeant) peut espérer du service public, ouvert aux producteurs indépendants qui peuvent proposer leurs projets à un comité de lecture. La diffusion des premiers documentaires a commencé en septembre 2007. Dans la liste des personnalités choisies, on trouve de tout : des scientifiques, des sportifs, des artistes, des comédiens (au fait, les comédiens sont-ils des artistes ?), des politiciens, des hommes d'affaires. Tout ne sera pas formidable : quelle empreinte la "vision du monde" de Johnny Hallyday ou la "parole généreuse" de François Pinault laisseront-elles sur l'évolution de la société ?

Hier, pas de star franco-belge ou de vieux requin des affaires au programme, mais un Homme, un vrai : humain, humaniste, lumineux, sage, réfléchi, évident. Un de ces hommes qui a toute sa place au sein de "ma bande d'humains préférés", parmi lesquels Albert Jacquard, Michel Serres, Hubert Reeves, Yves Coppens, Claude Levi-Strauss,  qui me réconcilient avec leur espèce si désespérante. Axel Khan, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est un monstre d'intelligence, un goufre de sympathie, une montagne d'évidence. Ecouter Axel Khan, c'est se sentir plus intelligent quand il cesse de parler, et vouloir qu'il parle encore. Chaque phrase fait mouche, chaque mot est plein, et le contraste n'en est que plus saisissant avec le vide des flots de paroles sans fond qui nous entoure. Axel Khan nourrit les esprits, parle à l'intelligence rabougrie des cerveaux modernes, les réveille de leur engourdissement, et grâce à ce don qui n'appartient qu'aux grands, les idées les plus profondes et les plus essentielles paraissent faciles, évidentes et naturellement lumineuses.

Au milieu de la grisaille de l'hiver intellectuel perpétuel, si vous avez manqué la diffusion d'hier, sacrifiez votre grasse matinée dominicale pour une séance de luminothérapie intellectuelle reprogrammée demain dimanche 16 décembre à 9h45. Si l'impatience est trop grande, courez sur le site de France 5 où l'émission est proposée gratuitement jusqu'au 21 décembre prochain. Au-délà de cette date, il vous en coûtera 2,99 euros. Le prix de cinquante-deux minutes de bonheur.


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