Le vert est dans le timbre

Publié le par Tiger

 

En octobre dernier, La Poste annonçait une petite révolution : le timbre vert. Je me souviens très bien de ce jour-là : je déambulais nonchalamment sur la rambarde du balcon de la vieille dame d'à côté, indifférent aux 105 décibels crachés par son poste de télévision, les vibrisses émoustillées par une drôle de minette qui travaillait gardaillement au corps un sac poubelle prometteur laissé sur le trottoir par un gougnafier représentatif de l'engeance locale (j'habite un quartier riche), lorsque l'antique voisine poussa un ricanement sifflant si soudain et si inattendu, qui, n'eût été mon incroyable dextérité qui fait encore si souvent envie chez mes congénères du quartier, eût pu me jeter au pied de l'immeuble, sept étages tout de même... même pour un chat, c'est moyen-moyen...

 

Grave surpris, je laissai ma minette à son opération de destruction massive pour m'intéresser au rire de sorcière qui avait suivi le cri primal, rire qui se changea en un ricanement spasmodique puis, faute de souffle, en un soupir rocailleux. Puis la vieille dame, trahie à la fois par ses genoux et ses poumons, s'affala dans son fauteuil et ne bougea plus, sauf à laisser échapper un spasme de temps en temps.

Le temps que ses fesses aient retrouvé leur coussin, j'avais pris place devant l'écran et contemplait un Jean-Pierre Pernault plus fringant que jamais, servant à ses fidèles le discours mercatique préparé par une agence de communication qui avait sûrement empoché quelques millions publics pour l'occasion. En substance, ça disait que La Poste avait créé le timbre vert écolo. Le timbre vert écolo..

J'en étais à prendre conscience que, de facto, l'ancien timbre n'était pas écolo (ah ben ça alors !) lorsqu'une sorte de mélopée s'éleva du canapé. Les paroles étaient assez répétitives, je vous les cite de mémoire :"mais ça existe déjà, le timbre vert, ça existe déjà".

Le temps de retourner sur ma rambarde, la minette avait terminé sa besogne et pris la poudre d'escampette. Sur le coup, je lui en ai un peu voulu, à la vieille. De dépit, j'ai sauté de balcon en balcon et suis parti vers le bureau de poste le plus proche pour en savoir plus sur ce nouveau timbre écolo...

 

Sur place, c'était l'émeute. Des dizaines de clients surexcités harcelaient des préposés complètement dépassés (qui devaient regretter le bon vieux temps des guichets à hygiaphone) tentant d'une façon à la fois comique et désespérée de se réfugier sous les ridicules petits pupitres dispersés dans le bureau de poste fraîchement rénové. Certains clients menaçaient même de solder leur livret A et de partir à la Caisse d'épargne s'ils n'obtenaient pas satisfaction ! Et que réclamait cette furibonde marée humaine ? Des timbres verts écolos, pardi !

Diable ! pensais-je. Ce nouveau timbre doit être foutrement révolutionnaire pour qu'il transforme en guerriers prêts-à-tout des retraités à casquette, des pères de famille habituellement soucieux de leur image (je vous rappelle qu'il s'agit d'un quartier pour le moins favorisé) et des nurses dont l'accent est garanti cent pour cent britannique.

Au milieu de cet improbable tohu-bohu me revenait la rengaine de ma vieille voisine : "mais ça existe déjà, le timbre vert, ça existe déjà".

 

Pour en avoir le coeur net, je retournai chez nous, allumai l'ordinateur de mon maître et me mis à faire quelques recherches. Afin d'obtenir les meilleures infos, j'allais directement sur le site de TF1 (!) où je pus à loisir lire et relire le communiqué de presse de La Poste présentant la verte pépite.

 

A ce stade de mon histoire, je me dis que si vous avez réussi à lire jusqu'ici, vous méritez un marron glacé ou au moins une fin rapide (pour l'histoire, hein, pas pour vous !) parce que c'est pas tout ça, mais il commence à se faire tard.

Alors je vous la fais courte : pour résumer, c'est une énorme arnaque !

Jugez-en plutôt.

 

Avant, il y avait ça :

 

tarifs laposte-avant

 

C'était simple :

- pour un envoi rapide, on utilisait un timbre rouge : un peu plus cher, mais en une journée, la lettre était dans la boite de son destinataire.

- Si on n'était pas pressé, un timbre vert permettait d'économiser 5 centimes (plus de 8% par rapport au tarif normal).

 

Aujourd'hui, on a ça :

 

tarifs-laposte-après2

 

L'ancien timbre vert à 55 centimes devient gris (qui aurait envie d'acheter un timbre gris ?) et un nouveau timbre vert (LE timbre vert écolo) apparaît au tarif de 57 centimes, soit deux centimes de plus que l'ancien timbre vert pas écolo.

- Ah oui, me dit d'un ton qui se veut convaincant le communiqué de La Poste, la lettre verte (vous aurez noté le concept de lettre verte, et non de timbre vert) coûte plus cher, mais il est ECOLO !

- Ok, monsieur le dossier de presse, et en quoi est-il écolo, je vous prie ?

- En ce qu'il est éco-conçu !

- Heu, pardon, je crains de ne pas vous suivre...

- Il a l'avantage de l' "éco-responsabilité" ! En clair, la lettre verte est "conçue pour émettre jusqu’à 30% de CO2 en moins que la Lettre prioritaire actuelle", du coup, elle est "plus respectueuse de l’environnement".

- Oh, très bien, est comment fait-elle pour émettre jusqu'à 30% de CO2 en moins ?

- Elle ne prend pas l'avion.

 

A ce stade de l'argumentaire, le cerveau de l'être humain moyen (celui visé par les génies qui ont concocté cet argumentaire imparable) à tendance à vouloir rendre les armes, convaincu par le génie de l'éco-responsabilité.

 

Du coup, je me dis que La Poste vient de faire son entrée dans le XXIe siècle : jusqu'à maintenant, si on postait à Paris une lettre  pour, disons, Neuilly-sur-Seine, la missive suivait l'un des cheminements suivants :

 

Avec un timbre rouge, elle était illico transférée à l'aéroport le plus proche (par exemple Roissy). Là, un avion l'attendait qui, dès l'embarquement terminé, décollait pour l'autre aéroport parisien (dans notre exemple Orly) où il se posait quelques heures plus tard. Avec, à ses commandes, un Saint-Exupéry prêt à tout pour livrer coûte que coûte la précieuse enveloppe, car monsieur, à La Poste, les timbres rouges n'attendent pas !

A sa descente d'avion, votre courrier était pris en charge par un brave facteur à vélo qui se dépêchait de l'emmener dans la boîte de son destinataire à Neuilly. L'ensemble prenait environ 24h car Orly-Neuilly à vélo, même quand ça roule bien sur l'A6, ça prend un peu de temps.

 

Avec un timbre vert, votre lettre était prise en charge par une équipe d'origine antillaise. On sait bien que ces gens-là, bien que très nombreux à La Poste, sont moins diligents que les métropolitains ; le nombre compensant peut-être l'efficacité (Avis aux antillais : c'est du second degré hein, même les chats ont le sens de l'humour). La lettre mettait donc un peu plus de temps à arriver à l'aéroport où elle était stockée dans un entrepôt humide, le temps qu'un vieux charter asthmatique soit chargé jusqu'à la gueule de sacs postaux réformés contenant le courrier des pauvres. Puis le coucou tentait de s'arracher de la dernière piste défoncée au bout de l'aéroport, volait tant bien que mal en émettant force CO2, avant d'atterrir quelques heures plus tard sur une autre piste défoncée au bout de l'autre aéroport. Là, les sacs postaux étaient acheminés dans des centres de tris où ils attendaient pendant des heures, parfois des jours, avant d'être redirigés vers leur ville de destination. D'où le délai indicatif de 3-4 jours.

 

Aujourd'hui, tout a changé : 

Imaginions que vous souhaitiez envoyer une lettre à votre mémé du Cantal pour la rassurer sur les aléas de votre vie parisienne. Avec le nouveau timbre vert, vous transformez votre courrier en une lettre verte, et là : BINGO !  Vous êtes un éco-citoyen moderne et responsable : sitôt dans la boîte jaune, votre lettre pour Mémé sera prise en charge par un facteur en vélo électrique qui se fera un plaisir d'emmener votre enveloppe jusqu'à la gare parisienne la plus proche. Là, un TGV dernière génération, propulsé par un moteur électrique ultra-puissant utilisant des panneaux solaires et des éoliennes installés sur les toits des wagons, acheminera votre lettre jusqu'à la gare d'Aurillac (ou Mauriac, ou Saint-Flour, tout dépend de l'adresse de Mémé) où l'attend déjà un autre facteur, équipé lui aussi d'un vélo électrique. Tout cela en deux jours seulement ! Et vous saurez en temps réel que Mémé a reçu votre lettre, car, n'en doutez pas, à ce moment précis, la Nature vous murmurera merci dans le creux de l'oreille.

 

C'est une belle histoire, non ?

 

 

Et l'opération de greenwashing de la Poste, elle a couté combien ? Sûrement beaucoup moins ce que ce va rapporter ce nouveau timbre vert qui coûte deux centimes plus cher. Deux centimes, ce n'est pas grand chose, me ferez-vous remarquer. Certes, rétorquerai-je, mais deux centimes multlipliés par les milliers de lettres distribuées chaque jour, ça vous amortit en deux temps trois mouvements une grosse campagne de pub à la limite (extérieure) de l'honnêteté. Tout le problème est là.

 

 

 

PS : De source non vérifiée, il paraîtrait que ces deux centimes serviraient à financer le recoloriage des anciens timbres verts en gris ; l'opération serait réalisée en Roumanie. Cela expliquerait qu'aujourd'hui, il est bien difficile de se procurer ces nouveaux timbres gris.

 

 

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Publié dans ça ne tourne pas rond

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W
I think 2 cents is more than enough to get this task done. Couple of years back only 1 cent was used to serve this purpose. Anyway, we have found the right solution. Now it is all about executing the task.
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